Pourquoi les fuites de données aériennes sont cruciales - Et pourquoi Qantas aurait pu être pire
Lysandre Beauchêne
Pourquoi les fuites de données aériennes sont cruciales - Et pourquoi Qantas aurait pu être pire
Les compagnies aériennes représentent une cible de choix pour les hackers en partie en raison de la quantité massive de données personnelles qu’elles collectent - et aucune donnée personnelle n’est plus convoitée par les cybercriminels que les passeports et les cartes d’identité gouvernementales. Selon l’entreprise spécialisée dans la suppression de données personnelles et la confidentialité Incogni, les fuites de passeports et de cartes d’identité présentent un « risque sévère et à long terme de vol d’identité ». Contrairement aux cartes de crédit, les documents de voyage sont difficiles à remplacer et peuvent être exploités pendant des années dans le cadre de fraudes d’identité synthétique, de fausses documents de voyage et d’escroqueries d’usurpation d’identité.
C’est précisément pour cette raison que la récente fuite de données clients de Q Airways par le groupe de menaces Scattered LAPSUS$ Hunters aurait pu être beaucoup plus grave. Les données divulguées comprenaient des noms, des adresses e-mail et des détails des programmes de fidélité, ainsi qu’une petite quantité de données plus personnelles telles que des adresses, des dates de naissance et des numéros de téléphone. Cependant, selon Qantas, « aucun détail de carte de crédit, d’informations financières personnelles ou de détails de passeport n’a été impacté ».
Bien que Qantas ait évité le type de fuite le plus dommageable, il reste des risques pour les consommateurs, note Incogni. Même lorsque les données de paiement ou de passeport ne sont pas exposées, les identifiants personnels tels que les noms, les dates de naissance et les détails des programmes de fidélité peuvent suffire à alimenter des fraudes à grande échelle, explique Darius Belejevas, directeur d’Incogni. « Les attaquants combinent souvent ces enregistrements avec des informations d’autres fuites pour construire des profils d’identité détaillés. »
Cet incident met également en lumière le risque croissant des fournisseurs tiers, l’incident étant lié à l’ingénierie sociale Salesforce et aux fuites de données de tierces parties. « L’affaire Qantas montre comment un fournisseur compromis peut avoir des répercussions à travers les secteurs, exposant des millions d’enregistrements clients dans un seul incident », ajoute Belejevas.
Tendance des fuites de données dans le secteur aérien
Selon la base de données de renseignements sur les menaces de Cyble, plus de 20 fuites de données de compagnies aériennes ont été revendiquées par des acteurs de menaces sur le dark web depuis le début de 2025, soit une augmentation d’environ 50 % par rapport à la même période de 2024. Une partie de cette augmentation est due à une focalisation du secteur par Scattered Spider et l’alliance plus large Scattered LAPSUS$ Hunters, mais d’autres groupes de menaces semblent également viser le secteur aérien.
L’incident le plus récent s’est produit cette semaine, lorsque le groupe de rançongiciel CL0P a affirmé détenir des données d’Envoy Air, la compagnie régionale d’American Airlines.
Envoy Air a confirmé l’incident dans un communiqué adressé à The Cyber Express, mais a précisé qu’aucune donnée client n’était impliquée. « Nous sommes au courant de l’incident concernant l’application Oracle E-Business Suite d’Envoy », a déclaré Envoy Air à The Cyber Express. « Dès que nous avons été informés de la question, nous avons immédiatement commencé une enquête et les forces de l’ordre ont été contactées. Nous avons mené un examen approfondi des données en cause et avons confirmé qu’aucune donnée sensible ou client n’a été affectée. Une quantité limitée d’informations commerciales et de coordonnées commerciales peut avoir été compromise. »
WestJet, qui a subi une fuite de données en juin de cette année, n’a pas eu cette chance, car la fuite a exposé certains documents de voyage des passagers tels que des passeports et d’autres informations d’identification gouvernementales. WestJet a répondu en offrant aux clients affectés 24 mois de protection et de surveillance de l’identité gratuits, mais Incogni met en garde contre le fait que les documents d’identité compromis « peuvent alimenter des fraudes pendant beaucoup plus longtemps » que deux ans.
Facteurs aggravants dans les attaques contre le secteur aérien
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi le secteur aérien est devenu une cible de choix pour les cybercriminels en 2025. Premièrement, la valeur des données collectées par les compagnies aériennes est exceptionnellement élevée. Contrairement à d’autres secteurs, les compagnies aériennes stockent non seulement des informations financières classiques, mais aussi des documents d’identité sensibles qui sont difficiles à remplacer et qui peuvent être exploités pendant des années.
Deuxièmement, la complexité des systèmes informatiques des compagnies aériennes, avec de multiples fournisseurs tiers et des intégrations complexes, crée des surfaces d’attaque plus étendues. Comme l’a illustré l’incident Qantas, une seule faille dans un fournisseur tiers peut entraîner la compromission de millions d’enregistrements clients à travers toute l’industrie.
Enfin, l’accent mis par les régulateurs sur la sécurité des données dans le transport aérien a créé une pression supplémentaire sur les entreprises pour qu’elles protègent leurs systèmes, ce qui, paradoxalement, attire également l’attention des attaquants qui cherchent à tester leurs capacités contre des cibles bien défendues.
Implications concrètes pour les voyageurs
Lorsqu’une fuite de données survient dans le secteur aérien, les implications pour les voyageurs peuvent être profondes et durables. Au-delà du vol d’identité immédiat, les victimes peuvent faire face à une multitude de risques qui ne sont pas toujours évidents dans les premiers jours suivant la découverte de la fuite.
Les coordonnées personnelles (noms, adresses e-mail, numéros de téléphone) peuvent être utilisées pour des campagnes de phishing ciblées. Les attaquants peuvent envoyer des e-mails ou des messages frauduleux se faisant passer pour la compagnie aérienne, demandant des informations supplémentaires ou menant à des sites web malveillants. Ces tentatives sont particulièrement efficaces car elles exploitent la relation de confiance existante entre le client et la compagnie aérienne.
Les programmes de fidélité représentent une autre mine d’or pour les cybercriminels. Les miles accumulés peuvent être volés et échangés contre des voyages ou des avantages, laissant le client sans ses bien acquis. De plus, les informations sur les habitudes de voyage (destinations fréquentées, classes de service préférées, heures de vol) peuvent être utilisées pour des extorsions ou des menaces plus sophistiquées.
Lorsque des données plus sensibles comme les dates de naissance ou les adresses sont compromises, les risques s’aggravent. Ces informations peuvent être combinées avec des données d’autres fuites pour créer des profils d’identité complets, facilitant l’usurpation d’identité devant les institutions financières ou les gouvernementaux. Dans des cas extrêmes, des passeports volés peuvent être utilisés pour créer de fausses identités, facilitant des activités illégales comme le trafic de personnes ou le terrorisme.
Stratégies de défense pour le secteur aérien
Face à ces menaces croissantes, les compagnies aériennes doivent développer des stratégies de défense robustes qui vont au-delà des mesures de sécurité traditionnelles. Une approche multi-couches est essentielle pour protéger à la fois les données des clients et la réputation de l’entreprise.
La première ligne de défense repose sur la sécurité des fournisseurs tiers. Étant donné que de nombreuses fuites proviennent d’attaques indirectes via des chaînes d’approvisionnement, les compagnies aériennes doivent mettre en place des processus d’évaluation rigoureux de leurs fournisseurs. Cela inclut des audits de sécurité réguliers, des exigences contractuelles claires en matière de protection des données, et des tests d’intrusion périodiques. L’incident Qantas a démontré comment un seul fournisseur compromis peut entraîner des conséquences dévastatrices pour toute l’industrie.
La chiffrement des données sensibles représente une autre mesure cruciale. Non seulement les données au repos dans les bases de données doivent être chiffrées, mais aussi les données en transit entre différents systèmes. Les passeports et autres documents d’identité doivent être traités avec le plus haut niveau de protection, idéalement en utilisant des méthodes de chiffrement adaptées à la sensibilité des informations concernées.
La surveillance proactive des menaces est également essentielle. Les compagnies aériennes doivent mettre en place des systèmes de détection des intrusions qui peuvent identifier les anomalies en temps réel. Cela inclut la surveillance du trafic réseau inhabituel, les tentatives d’accès anormaux aux bases de données, et l’analyse des activités suspectes sur le dark web. Une détection précoce peut permettre d’atténuer considérablement les dommages d’une attaque en cours.
Enfin, la préparation aux incidents est vitale. Chaque compagnie aérienne devrait avoir un plan de réponse aux incidents bien défini, incluant des procédures claires pour isoler les systèmes compromis, notifier les autorités compétentes, et informer les clients concernés. Des exercices de simulation réguliers peuvent aider à s’assurer que ces plans sont efficaces et que le personnel est formé pour réagir rapidement et de manière appropriée.
Recommandations pour les voyageurs face aux fuites de données
Face à la multiplication des fuites de données dans le secteur aérien, les voyageurs doivent prendre des mesures proactives pour protéger leurs informations personnelles. Même si vous n’êtes pas directement touché par une fuite spécifique, le risque général justifie une vigilance accrue.
L’inscription à un service de surveillance de l’identité est une première étape essentielle si elle est offerte par la compagnie aérienne concernée. Ces services alertent les utilisateurs en cas d’utilisation frauduleuse de leurs informations personnelles, leur permettant de réagir rapidement. En l’absence de tels services offerts, les voyageurs peuvent souscrire à des solutions commerciales spécialisées dans la protection de l’identité.
La vigilance face au phishing est tout aussi cruciale. Les voyageurs doivent signaler tout appel téléphonique ou e-mail suspect aux services anti-fraude nationaux tels que le Centre Antifraude Canada ou la FTC aux États-Unis. Il est important de se rappeler que les entreprises légitimes, y compris les compagnies aériennes, ne demanderont jamais par e-mail ou téléphone des informations sensibles comme les mots de passe ou les détails de carte de crédit.
L’utilisation de mots de passe forts et uniques combinée à une authentification multi-facteurs sur tous les comptes en ligne est une mesure de base mais essentielle. Chaque compte devrait avoir un mot de distinct, et l’authentification multi-facteurs ajoute une couche de sécurité supplémentaire qui rend beaucoup plus difficile pour les attaquants d’accéder aux comptes même en possession des mots de passe.
Enfin, la suppression des informations personnelles des sites de courtiers en données et de moteurs de recherche spécialisés dans les personnes peut réduire considérablement les risques. Ces sites rassemblent souvent des informations publiques et les met à disposition des cybercriminels, constituant « l’une des raccourcis les plus faciles pour les escroques ».
Le rôle des régulateurs et des normes de sécurité
Face à la recrudescence des fuites de données dans le secteur aérien, les régulateurs du monde entier intensifient leurs efforts pour renforcer la protection des données et imposer des sanctions plus sévères aux entreprises négligentes. En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) établit des exigences strictes en matière de protection des données personnelles, avec des amendes pouvant atteindre 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial pour les violations graves.
En France, l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) a publié des recommandations spécifiques pour le secteur aérien, soulignant l’importance d’une approche de sécurité en profondeur et de la gestion rigoureuse des risques liés aux fournisseurs tiers. Ces recommandations incluent des mesures de protection des données sensibles comme les passeports et des exigences plus strictes en matière de notification des fuites aux autorités et aux clients concernés.
Les normes internationales telles que l’ISO 27001 fournissent également un cadre précieux pour la gestion de la sécurité de l’information. Cette norme établit les exigences pour un système de gestion de la sécurité de l’information (SGSI), y compris des politiques, des procédures et des contrôles pour protéger la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des informations. De nombreuses compagnies aériennes du monde entier adoptent volontairement cette norme pour démontrer leur engagement envers une sécurité robuste.
La collaboration entre les entreprises et les autorités est également essentielle. Des initiatives comme le cadre de Cybersecurity Maturity Model Certification (CMMC) aux États-Unis ou le programme Essential Eight en Australie fournissent des lignes directrices spécifiques pour améliorer la résilience cybernétique des infrastructures critiques, y compris celles du transport aérien.
Vers une cybersécurité renforcée dans le secteur aérien
Alors que le secteur aérien continue de se digitaliser, la cybersécurité n’est plus une option mais une nécessité impérative. Les compagnies aériennes doivent investir dans des technologies de pointe tout en cultivant une culture de la sécurité à tous les niveaux de l’organisation. La formation régulière du personnel aux menaces émergentes et aux meilleures pratiques de sécurité est tout aussi importante que les technologies elles-mêmes.
L’avenir de la cybersécurité dans le secteur aérien dépendra de plusieurs facteurs clés. L’innovation dans des domaines comme l’authentification biométrique, l’analyse comportementale pour détecter les activités anormales, et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour prédire et prévenir les attaques promettent d’améliorer considérablement la défense contre les menaces. Cependant, ces technologies doivent être déployées de manière réfléchie, en tenant compte à la fois de leur efficacité et de leur impact sur l’expérience client.
La coopération sectorielle sera également essentielle. Les compagnies aériennes, les fournisseurs technologiques et les autorités de régulation doivent partager des informations sur les menaces et les meilleures pratiques de manière coordonnée. Des initiatives comme le Aviation ISAC (Information Sharing and Analysis Center) aux États-Unis facilitent ce type de collaboration, permettant aux entreprises de bénéficient des leçons apprises par leurs pairs et de réagir plus efficacement aux menaces émergentes.
Enfin, les consommateurs informés constituent une ligne de défense cruciale. Alors que les voyageurs deviennent de plus en plus conscients des risques liés à la cybersécurité, leur vigilance et leurs actions proactives peuvent contribuer à réduire l’impact des fuites de données. Les compagnies aériennes ont donc un rôle à jouer dans l’éducation de leurs clients sur les bonnes pratiques de sécurité et les signaux d’alerte à surveiller.
En conclusion, alors que les fuites de données dans le secteur aérien continuent d’augmenter en 2025, il est clair que cette menace évolutive nécessite des réponses adaptées et coordonnées. Des compagnies aériennes aux voyageurs, en passant par les régulateurs et les fournisseurs technologiques, chaque acteur a un rôle essentiel à jouer dans la protection des données sensibles qui sont au cœur du système de transport aérien mondial.